Par Peter Hossli
Une panique mondiale s’est emparée des adolescents le 13 septembre dernier. Donald Trump annonçait l’interdiction aux Etats-Unis de l’application TikTok pour novembre de cette année. Dans la foulée, il brandissait la menace de sanctions à l’égard des pays occidentaux qui ne suivraient pas son exemple. Motif: la plateforme de courtes vidéos appartient au groupe chinois ByteDance et elle constituerait un risque pour la sécurité des USA en accumulant de grandes quantités de données et en les transmettant au Parti communiste de Pékin.
Pendant quelques jours, les parents ont pu espérer voir leurs enfants se remettre à lire un livre au lieu de passer tout leur temps sur leur smartphone. Mais au bout d’une semaine, deux groupes états-uniens, Oracle et Walmart, faisaient savoir qu’ils allaient reprendre la partie non chinoise de TikTok et la faire tourner sur des serveurs aux Etats-Unis, sous la marque TikTok Global. Le président Trump s’attribuait le mérite d’avoir servi d’intermédiaire dans l’affaire. «Les utilisateurs de TikTok peuvent respirer», titrait la NZZ, faisant allusion aux ados qui allaient retrouver un sens à leur vie. Les Chinois, eux, étaient humiliés. L’éditeur du Global Times, fidèle au gouvernement, comparait la vente de TikTok à un «cambriolage au grand jour», digne des méthodes du Far West.
Que s’était-il passé? Pourquoi le président des Etats-Unis se mêlait-il d’une application de pur divertissement? L’affaire est complexe, et liée à un des importants conflits de notre temps. Une intense guerre commerciale fait rage entre la Chine et les USA, qui va bien au-delà de TikTok et concerne tout le monde occidental.
La Chine vise la première place
La Chine s’est fixé un objectif ambitieux: devenir la plus grande puissance économique mondiale d’ici à 2049, année du centenaire de la fondation de la République populaire. Et tous les moyens, loyaux ou non, sont bons pour y parvenir. Espionnage industriel, verrouillage des marchés, dumping sur les prix, subventions étatiques à coups de milliards injectés dans les firmes privées... cette guerre économique n’est pas près de prendre fin. Les économistes s’attendent à ce qu’elle dure encore plusieurs décennies.
Donald Trump est entouré de conseillers qui considèrent la Chine comme une grande menace pour l’Amérique. Dès le début de son mandat présidentiel en 2017, ils l’ont pressé de s’opposer à Pékin. S’il l’a fait de manière essentiellement rhétorique au début, il a introduit il y a deux ans des taxes douanières importantes et obtenu un certain nombre de concessions de la part de la Chine.
Au-delà des vidéos de danse
Dans ce contexte, les passes d’armes autour de TikTok sont représentatives d’une nouvelle guerre froide économique, qui se joue à la fois au niveau réel et au niveau numérique. Elle porte aussi sur plus d’un million de détenus ouïgours de la région du Xinjiang, victimes de graves atteintes aux droits humains, sur la fin des libertés pour Hongkong, autrefois démocratique, sur la flotte militaire en mer de Chine du Sud et sur les conséquences de la pandémie de Covid-19, qui a débuté en Chine et qui affecte considérablement les Etats-Unis. Le monde numérique est particulièrement disputé. Les réseaux sociaux américains Facebook, Twitter et Instagram ne sont pas autorisés en Chine. Lorsque Trump s’en prend à des applications chinoises comme WeChat ou la plateforme d’e-commerce Pinduoduo, c’est donc qu’il contre-attaque. Mais ce n’est de loin pas tout. Pour Adam Segal du Council on Foreign Relations, expert en cybersécurité, l’argument de la sécurité nationale paraît «assez faible»: «TikTok est le premier réseau social d’origine chinoise à être devenu véritablement planétaire», a-t-il déclaré au magazine Time. Et Donald Trump entend saper ces succès commerciaux, afin de protéger sa propre industrie.
Et puis le président des Etats-Unis a des comptes à régler: l’été dernier, des utilisateurs de TikTok ont acheté des milliers de billets pour une manifestation électorale à Tulsa, dans l’Oklahoma. Mais ils ne s’y sont pas rendus, et le candidat à sa propre succession s’est ridiculisé dans une immense arène à moitié vide.
L’attaque contre Huawei
Avant de mettre le service d’échange de vidéos à genoux, Trump avait déjà le géant technologique Huawei dans son viseur. Même du temps de Barack Obama, le groupe était considéré comme un risque pour la sécurité nationale et pour la sphère privée du citoyen états-unien. Avec Donald Trump aux commandes, la lutte contre Huawei s’est encore intensifiée. En décembre 2018, la police canadienne arrêtait, sur requête des autorités américaines, la directrice des finances de l’entreprise, Meng Wanzhou. Motif avancé: Huawei contournait les sanctions prises contre l’Iran. Simultanément, le gouvernement américain interdisait l’utilisation d’équipements Huawei pour déployer les réseaux 5G à travers le pays.
La diplomatie américaine a monté une alliance mondiale contre Huawei. Elle a contraint ses partenaires, notamment la Grande-Bretagne, l’Australie, le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Inde et l’Allemagne, à exclure Huawei de la mise en place de leurs réseaux 5G nationaux, arguant qu’il est extrêmement dangereux de confier à une société contrôlée par l’Etat chinois la construction de réseaux de communication mobile décisifs pour leur avenir économique.